Une pensée pour Solenn toujours perdue dans les rues de Lisboa.

Résumé :

La science démontre qu’il existe bel et bien une différence entre les hommes et les femmes dans les capacités spatiales (notamment d’orientation). Or, les neurosciences, elles-mêmes, démontrent qu’un petit garçon et une petite fille naissent avec des capacités visuospatiales strictement identiques. L’étude démontre qu’il s’agit, en grande partie, d’une exposition précoce à des jeux dont la fonction varie selon le genre : les garçons se verront offrir des jeux de constructions (légos, kapplas, circuits de voitures, géomag etc.), tandis que les jeunes filles se verront offrir des jeux plutôt symboliques (poupées, playmobil, jusqu’à l’aspirateur jouet Dyson …). Nous sommes les deux pieds dans le plat de l’épigénétique. L’environnement, les stimulations précoces ainsi que les stéréotypes, modifient des circuits neuronaux touchant des compétences aussi complexes que les aptitudes spatiales.

Force est de constater qu’il existe statistiquement (Barnett et al, 1997), (Coluccia et Louse, 2004), (Schmitz, 1997; Saucier et al., 2002), (Devlin et Bernstein, 1995; Moffat et al., 1998; Sandstrom et al ., 1998; Coluccia & Martello, 2004), (Lawton et al., 1996) (Malinowski & Gillespie, 2001), (McGuinness et Sparks, 1983; Miller et Santoni, 1986; Ward, Newcombe et Overton, 1986; O’Laughlin et Brubaker, 1998; Galea et Kimura, 1993; Dabbs, Chang , & Strong, 1998; Brown et al., 1998; Coluccia & Martello, 2004) une nette différence de genre dans les capacités spatiales (structuration, orientation et navigation) que ce soit dans un environnement virtuel ou réel.

L’étalonnage de Piccardi et coll (2014c) du WalCT (The Walking Corsi Test, test de mémoire de travail et de compétences visuo-spatiales 3D) chez 268 enfants tout venants de 4 à 11 ans ne montre pas de différences de performances entre les filles et les garçons. Il n’y a aucune différence de performance dans le WalCT et dans les blocs de Corsi dans cette tranche d’âge. L’absence de différences filles/garçons retrouvée chez les 4-11 ans (Piccardi et coll, 2014c), et les différences retrouvées chez les 15-86 ans (Piccardi et coll, 2013), laissent supposer que ces différences apparaissent à l’adolescence. Cela concorde avec les études de certains chercheurs qui font l’hypothèse que l’émergence des différences sexuelles et/ou de genre dans les capacités spatiales sont liées à la puberté (par exemple, Petersen, 1980; Waber, 1976).

Alors, pourquoi ?

Gaulin et Hoffman (1988) concluent dans leur revue que les différences sexuelles, biologiques, dans les capacités spatiales sont fortement modulées par l’expérience et l’apprentissage. En effet, une méta-analyse de Baenninger et Newcombe (1989) révèle que plus nous participons à des activités spatiales élevées, plus nous améliorons nos performances spatiales. Or, les femmes et les hommes ne consacrent pas le même temps aux activités spatiales. Habituellement, les hommes ont plus d’expérience dans les activités qui améliorent le développement des compétences spatiales (Lawton et Morrin, 1999). En effet, depuis la petite enfance, les hommes jouent davantage à des jeux avec des composantes spatiales élevées, comme les jeux d’exploration, les sports d’équipe, la construction LEGO (Goldberg & Lewis, 1969; Baenninger & Newcombe, 1989) et les jeux vidéo (Barnett et al., 1997). Ils semblent être exposés à une « expérience spatiale » plus élevée que les femmes (Coluccia et Louse, 2004). En outre, l’observation de catalogues de magasins de jouets montre que les jouets « pour filles » proposent des activités d’intérieur, de soin de l’autre et de soi et de créativité. Pour les garçons, les jouets sont plus orientés vers l’extérieur, la construction, le combat (Zegaï, 2010) (Dumesnil, Chateignier et Chekroun, 2016). De plus, les garçons sont autorisés plus souvent que les filles à explorer de nouveaux environnements (Webley, 1981) (Coluccia et Louse, 2004).

En illustration, la magnifique série « Toy Stories » photo de Gabrielle Galimberti.

Menace du stéréotype :

Dans le domaine spatial, des menaces de stéréotypes de genre ont été mises en évidence en rotation mentale (McGlone et Aronson, 2006). En effet, le simple fait de devoir indiquer leur sexe avant de réaliser la tâche, en dehors de toute consigne diagnostique comparable à celles de Steele et Aronson (1995), entraînait une chute de performance chez les femmes devant réaliser le Vandenberg Mental Rotation Test (Vandenberg, 1971). A l’inverse, chez les participants de sexe masculin, l’activation de l’identité de genre permettait une amélioration de leurs performances par rapport à une condition contrôle. Il semble donc exister un stéréotype féminin négatif qui dessert leurs performances mais il semble aussi exister un stéréotype masculin positif qui renforcerait les performances des hommes dans ce domaine. Des menaces de stéréotypes de genre ont également été retrouvées en orientation (Dumesnil, Chateignier et Chekroun, 2016). On dit souvent aux femmes « qu’elles n’ont pas le sens de l’orientation », comme l’explicite les articles de magazines féminins ci-dessous. Bien que les femmes soient biologiquement plus à risque de faibles capacités spatiales, on ne peut pas en faire une généralité car les différences inter-individuelles existent et sont importantes. La menace du stéréotype accentue les différences de genre mais peut également créer ces différences.

Article inspiré du mémoire de fin d’étude Louise Tison, 2020.