Les technologies numériques ont beaucoup d’aspects positifs et elles se sont massivement et très rapidement imposées dans notre société. Ce sont de fascinants objets techniques, des pharmaka au sens philosophique, à la fois remèdes et poisons, qui servent positivement pour chaque adulte d’accès à de nouvelles informations, de partage de connaissances, mais aussi à s’extraire des problèmes du monde, de ses problèmes sociaux et professionnels, et à avoir une illusion de contrôle sur le scénario de son jeu, de sa communication… La multiplication des écrans nomades, au cours des deux dernières décennies, touche la majorité des familles. C’est un phénomène massif, récent, et inédit. Quelles en sont les conséquences pour les petits ? Chacun peut observer, dans les lieux publics, la surexposition des enfants aux écrans : ils sont placés devant le smartphone de leur parent, ou bien ils tentent de s’agripper au regard d’inconnus, car leurs parents sont souvent captés par leur smartphone et peu accessibles à leurs demandes. Les écrans s’insinuent dans les aspects les plus intimes des échanges entre parents et enfants, et parfois dès le séjour en maternité, puis dans les moments de repas ; ils remplacent les chansons chantées par les aînés, les jeux avec des adultes, les échanges verbaux et interactifs. Ils servent de baby-sitter, évitent aux parents la nécessité de la gestion des conflits, ce qui apparaît répétitivement dans les réponses des parents concernant l’usage des écrans. Les conséquences dans l’intimité de la vie quotidienne et pour le développement des très jeunes enfants, au vu des vastes apports théoriques de la psychiatrie de l’enfant, ne peuvent être anodines. Il semble donc important scientifiquement de ne pas dénier a priori les effets de la surexposition et de ne pas en confondre l’impact différent aux divers âges de la vie : nourrissons, enfants d’âge de latence, adolescents et adultes…
Les consultations pédiatriques, en cabinet libéral, en pmi, à l’hôpital, sont le lieu de repérage des difficultés de développement, et les pédiatres témoignent de la multiplication de tableaux cliniques répétitifs, baptisés par, D. Marcelli, du terme d’epee (exposition précoce et excessive aux écrans), et décrits par D. Marcelli et coll. (2018) : il s’agit d’enfants jeunes, âgés de 2-3 ans, pour lesquels le motif le plus fréquent de consultation est le retard ou l’absence de langage, associés à des « traits autistiques ». Les enfants ne regardent pas l’adulte quand on les appelle ou quand on veut leur montrer quelque chose, ils sont seuls au monde, prennent la main d’un adulte quand ils veulent quelque chose et passent parfois des heures à une activité répétitive. Certains sont cependant capables de dire des mots en anglais, voire de compter, de chanter les lettres de l’alphabet en anglais, avec une mélodie directement reproduite des émissions tv, de dessins animés, des jeux vidéo dits « éducatifs ». Les symptômes des enfants apparaissent à la fin de la première année, quand leur appétence pour la relation à l’autre est la plus importante mais qu’ils ne rencontrent personne, alors que le regard des adultes est accroché à leur téléphone portable, à leur jeu vidéo, ou à leur tv.
Aujourd’hui, la consultation pédiatrique et/ou pédopsychiatrique devrait systématiquement évaluer précisément le temps d’exposition aux écrans. En effet, on peut alors mettre en évidence que l’enfant est souvent gardé par la tv ou les écrans, qu’il fait peu d’expériences relationnelles, et que les images ne sont pas ou peu l’objet d’échanges.
Les 3 cas rapportés dans cette étude montrent une possible amélioration de la symptomatologie « autistique », confirmée par les scores à la CARS, dans le cas de l’arrêt de la surexposition aux écrans et de conseils éducatifs aux parents. Ces cas, même très limités en nombre, sont qualitativement significatifs. L’impact des écrans est un enjeu de santé publique dont on n’a pas encore pris la mesure. Dès la maternité, des bébés sont placés par leur mère devant leur propre téléphone portable et elles-mêmes sont absorbées par celui-ci, avec pour conséquence des troubles des interactions très précoces. Les petits sont aussi placés dans une pièce où la tv est bien souvent allumée en permanence. Les conséquences sur le développement psychomoteur sont sévères et risquent de s’inscrire de façon définitive si rien ne change dans l’environnement de l’enfant. Une prévention des effets négatifs des écrans sur le développement de l’enfant devrait donc être abordée dès la maternité, puis lors du suivi des enfants en pmi ou par le pédiatre. Des mesures de santé publique dans ce domaine sont nécessaires et urgentes, car le développement d’un petit enfant est indéniablement une urgence.